Des nouvelles d'Aleix Renyé par l'auteur lui-même 5

Publié le par L'Œil du Pharynx

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MUSICIEN DE CAMPING
Il ne peut pas se plaindre, cet été il a eu du travail. Il pourra changer la voiture et acheter un nouvel ampli. De toute façon c’est pas ça, l'argent, qui le maintient dans cet état d’insatisfaction permanente. Quand -ça fait bien trente ans- il a décidé de devenir musicien professionnel il n’imaginait pas finir en grattant la guitare déguisé en Elvis, l’été, pour distraire l’ennui des soirées familiales de touristes allemands où anglais dans les campings de la côte. Touristes d’âge mûr, de ventres arrondis et peaux flasques qu’il faut divertir au retour de la plage. Ils apprécient que, sans sortir du camping et sans supplément, un spectacle musical leur rappelle leur jeunesse, quand ils n'étaient pas mariés, quand les rêves étaient intacts, quand les enfants n’étaient que des projets et qu’ils n’avaient pas de problèmes de masse pondérale...
Des fois, quand même, il se laisse porter par l’ambiance et il s’y voit. Il croit, le temps d’une soirée,qu’il est un artiste reconnu. Ces nuits magiques, il se laisse séduire par des yeux brillants d’un trop plein de sangria et de nostalgie. Yeux bleus de blonde à la peau rose-crevette, qui a envoyé son mari à la tente où au mobil-home coucher les enfants... où l’a laissé avec des copains en train d’avaler des litres de bière. Le musicien peut rallonger la nuit, alors, en faisant abstraction des peaux flaccides, ventres striés, seins aplatis, fesses tombantes et cuisses tremblotantes de ces fans d’un soir. Derrière la scène du camping il laisse s’envoler son imagination, et il voit en cette bonne mère de famille qui l’embrasse goulûment, excitée par la transgression, une jeune admiratrice à la peau veloutée, ventre ferme, seins agressifs, derrière hautain et cuisses fermes.
L’année prochaine, peut-être, le musicien aura enregistré le CD (il préfère dire album, comme avant) dont il rêve, avec ces très belles chansons qui feraient un malheur, comme ne cessent de lui répéter ses amis et sa femme.

RENTRÉE
Ah, ça fait plaisir de retrouver les vieilles habitudes.... vous ne pouvez pas imaginer comme j’en avais marre d’être en vacances! Maintenant, je saurai quoi faire de ma journée. Entre le boulot, les copains, le bistrot, le club et quelques bricoles à droite et à gauche, on n'a pas le temps de s’ennuyer. Je suis un homme actif, moi, je ne sais pas rester sans rien faire!  Et pendant les vacances on finit par s’abrutir.
La première semaine, ça va, on découvre l’endroit où ma femme et ma fille ont décidé de planter la tente. La plage, les restos, les animations du camping.... Mais au bout de quelques jours de plage, de promenade dans des rues typiques et allées commerçantes, une fois qu’on a visité le truc culturel du coin -deux où trois musées où ma femme fait son intello- et qu'on est sorti la nuit dans des discothèques -où elle n'arrètre pas de dire qu'elle a "le coeur toujours jeune”-... il reste encore à passer plus de la moité du séjour !
Je finis par ne plus savoir quoi faire, je rode et râle autour de la tente, je squatte l’auvent et ma femme, là oui, elle finit par pèter un plomb de me voir là planté, assis sans bouger, en dégustant des apéros du matin au soir avec d’autres mecs sympas du camping.
Pour avoir la paix j’essaie de dormir le matin et à l'heure de la sieste, d’aller jouer aux boules, je lis le journal du coin trois fois et je vais au bar du camping regarder la télé. Toute la journée en shorts et marcel, claquettes, casquette et sans être rasé...
Ah, quel bonheur de reprendre sa place au boulot! Se lever tôt, se laver, se raser, enfiler le costard,la cravate et retrouver les collègues bien habillés, propres, bien coiffés et qui sentent bon, pas comme les copains de camping qui sentaient le touriste!
Les collègues vont raconter leurs exploits de vacances: Jacques et sa plongée dans la mer Rouge, l’amourette d’été de Monique aux Antilles, le camping encerclé par les flammes en Corse de Véronique... Là, oui, les vacances deviennent intéressantes, racontées par ses collègues. Peut-être ils se sont emmerdés autant que moi, mais (au moins) ils savent raconter des bobards et se faire des films. Moi, non, je ne sais pas mentir. Je le dis honnêtement, je suis content, heureux de retrouver mon poste, mes collègues et mes habitudes !

Publié dans Littérature

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